Le bruissement des draps résonne dans ma tête. Un souffle. Mon torse se soulève, j’essaye de le contrôler pour amenuiser mon essoufflement. Mes yeux se rouvrent, je le cherche. Mais lui n’est déjà plus là.
Il s’assoit.
Mes mains s’accrochent aux chaines sombres reliant mes poignets. Il a eu besoin, aujourd’hui, de les mettre. D’avoir la sensation de me retenir prisonnier, alors que je ne pourrais m’enfuir. Jamais. Il aime garder le pouvoir, la supériorité, et le sentiment que je lui appartiens. Je suis sa chose. Son objet. Son désir.
Il se rhabille.
Je n’ose tourner la tête vers lui. Mon esprit laisse s’effilocher les dernières bribes de notre ébat, les derniers soupirs qu’il est venu cueillir sur le bord de mes lèvres alors qu’il me faisait venir pour la troisième fois. Je n’ai jamais aimé les chiffres impairs, mais lui se nargue de les dompter. Tout comme il dompte mon dos cambré, mes cuisses arquées et ma gorge déployée. Je n’ai plus de voix. Pas de quoi l’appeler. De toute manière, il attendrait que je le supplie pour ensuite mieux m’abandonner.
J’imagine son corps ; la prestance de ses muscles et la courbe de sa nuque. La puissance de ses avant-bras, suffisamment forts pour soutenir le poids de son être et m’étrangler sans effort. Je souris légèrement en repensant au téton droit que j’ai mordu, avant qu’il ne se venge sur les miens à m’en faire outrageusement couiner. Avant qu’il ne me fasse languir, trembler mes cuisses et s’évanouir ma raison.
Il se lève.
Je sens le matelas remonter. Il s’en va ? Inquiet à la pensée de l’abandon, je tourne la tête vers lui. Quelque mèches d’argent me dérangent, me barrent la vue. Il n’a même pas prit le temps de me dévêtir complètement. Comme si la folie le prenait trop rapidement pour qu’il en garde la maitrise. Cela doit le frustrer, atrocement. Lui qui aime tout contrôler. Je vois son dos, où gisent les faibles griffures que j’ai eu le droit de lui octroyer. Il m’en demande parfois, comme pour faire redescendre son esprit des lymbes où il s’est perdu.
Il soupire.
Sa chevelure à reprit la délicieuse teinte chocolat, celle qu’il garde lorsque son âme est au calme. Lorsqu’il reprend possession de ses moyens et paraît alors plus humain. Même, plus humain que moi, je dirais. Il a l’air pensif, se mordant la lèvre. Je sais qu’il ne regrette pas ce qu’il a fait, ou si peu. Dans les deux cas, je n’en serais pas mis au courant. Il faudra attendre, comme toujours.
Il hésite.
Ses longs doigts effilés montent, vont frôler, caresser les deux croix qu’il porte autour du cou. Je soupçonne les veines de sa peau claire. Pâle et tendre. Délicieuse. La première croix, c’est pour lui. La seconde, plus haute, c’est pour l’autre. Celui qui l’habite et qui se libère par moment. De temps à autre, ils échangent, s’intervertissent et je dois alors en subir les conséquences. Chacun à conscience de l’autre. A conscience de ce que leur corps fait. Ce qu’il me fait, alors que j’hurle son nom de douleur et de plaisir. Il sait y faire, tellement…
Il sort.
J’en profite pour le débarrasser de ces chaines ; retrouver mes vêtements et les enfiler, fébrile. Je ne sens plus l’extrémité de mes doigts, les portant à mes lèvres comme pour en tester la perte. Mon corps me brûle. Mon dos est douloureux. Mes jambes sont épuisées. Je, suis épuisé. Comme s’il avait aspiré mon énergie, ma motivation, mon désir. Je n’ai qu’une envie, me rallonger pour sombrer dans un sommeil sans rêves ni cauchemars. Je baisse un instant les yeux.
Il s’éloigne.
Les chaines sont lourdes. Elles pèsent entre mes doigts, glissant jusqu’au sol dans un cliquetis mate. J’espère qu’il ne les remettra pas de sitôt, il n’a pas l’habitude de les utiliser, et elles sont bien trop grosses. Je préfère encore quand il prend un tissu ou des menottes. Autre chose, que ces chaines.
Il s’est enfermé.
Je soupire. Mais je souris. Quelque chose en moi souris. Cette âme noire qu’il a fait naître, au creux de mes os et de mes entrailles. Cette idée sordide de la mortalité et du cauchemar, des méandres du néant, de la peur, du désespoir. Cette personnalité qu’il m’a octroyée quand il m’a donné vie. Quand il m’a permis de renaître, de perdre cette enveloppe charnelle qui était la mienne, pour ne plus supporter que le poids de mes propres responsabilités. Quand pour la première fois il a échangé sa chair avec la mienne. Quand il m’a fait devenir quelqu’un.
Je lève les yeux.
Vers vous. Vous qui ne comprendrez jamais qui est mon maître.
Qui est Dimitri Dù Enaid.